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Aider les enseignants à relire leur expérience professionnelle après le confinement ?

C’était dans l’air mais quand même… ce fut brutal. Le jeudi 12 mars 2020 le Président de la République annonçait que les crèches, écoles, collèges, lycées et universités seraient fermées à partir du lundi 16 mars « jusqu’à nouvel ordre » afin de contenir la propagation du coronavirus au sein de la population ». Dans la foulée, le ministre de l’Éducation Nationale déclarait « un changement de paradigme » auquel « l’école était prête ». Voir. Si la réaction fut rapide, il fallut tout de même en quelques jours à peine organiser des classes à distance, un encadrement pédagogique, donner du travail, rassurer des familles, trouver du matériel, faire face à une cacophonie technologique et numérique, gérer le temps professionnel et personnel etc. Un tel bouleversement ne va pas sans conséquences, ni de ce fait, sans mesure à prévoir pour organiser un retour qui s’annonce compliqué.


S’il ne s’agit pas de mettre sur le même plan les soignants et les enseignants, on peut tout de même considérer que ces derniers ont dû à faire face à un choc non négligeable qu’il s’agit de prendre en compte, comme pour d’autres catégories de professionnels, du chef d’entreprise à la caissière de supermarché.

Comme les enseignants s’occupent une bonne partie du temps de nos enfants, il est préférable qu’ils se sentent bien !





Beaucoup d’émotions fortes...

Du côté des enseignants, ils ont fait face à [1]une tempête émotionnelle composée de « sidération et de peur de ne pas être à la hauteur de la situation ». En effet, il a fallu qu'ils s’adaptent en quelques heures, comme tout le monde (matériels, locaux, organisation...). Les repères temporels et spatiaux ont volé en éclat : plus de salles qui réunit les élèves et permet de faire "groupe", plus de matériel physique, un emploi du temps à revisiter entièrement etc…

Un sentiment de frustration est né de cette coupure brutale et de l’obligation d’utiliser des moyens inhabituels, parfois mal ou pas du tout maîtrisés, ou encore inadaptés à certains élèves qui se trouvaient de ce fait en souffrance.

La situation, pour certains, s’est apparentée à une sortie de route dans un accident de voiture, avec plus ou moins de casse selon la solidité des conducteurs...

Si on peut bien entendu tout relativiser, il y a eu pour certains enseignants un véritable traumatisme professionnel et affectif. En effet, la grande majorité des enseignants est attachée à ses classes et que la relation avec les élèves soit fluide ou plus conflictuelle, l’engagement relationnel ne peut être nié.





Comme pour les entrepreneurs (sans le risque financier toutefois), ce sont aussi des projets pédagogiques entiers qui sont partis en fumée alors qu'ils avaient nécessité beaucoup d'énergie et d'engagement pour être mis en place.

Aux émotions fortes du début du confinement, s'ajoute la nécessité de faire le deuil des voyages organisés, des projets culturels et sportifs, des actions éducatives dans les établissements. Ma très sage Grand-mère dirait : "ce n'est pas la mort d'un homme" et c'est vrai ! c'est toutefois un renoncement non choisi qui provoque de la tristesse et du regret et c'est toujours une perte d'énergie.

Le traumatisme affectif fut également le lot de certains écoliers et lycéens et les enseignants n’y ont pas été insensibles. Ils ont entendu, vu, participé à des « tranches de vie » de leurs élèves qu’ils ne voient pas d’habitude, car elles sont gérées par d’autres professionnels (assistants sociaux, infirmiers, médecins scolaires etc.).





Des effets plus ou moins durables sur la confiance en soi

Nombreux sont les enseignants qui se sont sentis impuissants et surtout incompétents dans l’exercice de la mission qui leur incombait. Une enseignante écrivait récemment dans Les cahiers pédagogiques que dans ces conditions [d’isolement] elle faisait mal son travail, qu’elle le savait et qu’elle en souffrait.

Certains enseignants, mal ou insuffisamment formés au numérique, se sont trouvés dans des situations techniques qui les ont conduits « à un véritable fiasco ». Ils se sentaient alors dans une profonde insécurité, mettaient en jeu leur autorité habituelle voire leur légitimité. Le sentiment d’incompétence qui en découle entame la confiance en soi parfois durablement ou très profondément. Or nous avons besoin d’adultes solides et confiants pour entourer nos enfants et les conduire dans les apprentissages. Que penserait-on d’un chirurgien qui doute de son art et dont la main est mal assurée ? lui confierait-on notre santé ?





Des valeurs bousculées...

Les inégalités entre les élèves et les familles déjà connues sont devenues criantes[2]. Le temps à consacrer à chaque élève a dû être limité, compté plus encore que d'habitude, les explications données à distance aux élèves peu satisfaisantes. Certains élèves ont disparu des radars. Il a fallu créer un autre lien avec les familles -ce qui était un moindre mal- quand celui-ci n’a pas été tout bonnement rompu.

Les valeurs de bienveillance, de respect, de justice, d’écoute, de disponibilité à l'autre ont pu être mise à mal, ne pouvant se vivre dans un « espace-classe » dont l’enseignant est le garant. Comme le rappelle P.Meirieu, « faire la classe » n’est pas anodin. C’est bien le groupe physique des individus qui « fait » classe dans un environnement commun dont il a la maîtrise. La continuité pédagogique, dans ces conditions particulières du confinement, n’a pas grand-chose de « continu ». Les espaces ne sont plus partagés, non plus que le temps et les outils, voire les contenus dans certains cas.

La violence scolaire était déjà le lot malheureux de certains établissements. Des enseignantes sont aujourd'hui victimes d'insultes à caractère sexiste et sexuel sur les plateformes éducatives. C'est une dérive des classes virtuelles qui n'avait pas été anticipée, même si ce genre de problème existait auparavant [4].




Mettre à plat et relire la situation pour revenir à la « normale » (de chacun) ?

« le fait d'avoir vécu une situation très difficile dans sa vie personnelle ou professionnelle pourrait modeler les circuits cérébraux, suscitant la crainte irraisonnée d'être à nouveau confronté à des situations analogues, de revivre les mêmes peurs et les mêmes angoisses. »[3] Il est nécessaire de prendre la mesure d’un traumatisme quel qu'il soit. Pour certains enseignants, rompus à des méthodes participatives, bien formés, créatifs, la période peut laisser un souvenir positif, en dehors de celui d’une charge de travail distribuée autrement ou très intense. Pour d’autres, c’est l’identité professionnelle qui a pu être blessée, endommagée, traumatisée.

Or un traumatisme peut installer la personne traumatisée dans une crainte perpétuelle qui l’empêche d’accéder à ses ressources cognitives et psychiques ordinaires, donc d’être performant dans ses missions.

Les thérapies comportementales et les méthodes d’accompagnement (groupes d’analyse de pratique, coaching professionnel…) en favorisant une relecture guidée de l’événement permettent d’en limiter les conséquences délétères.





Perspectives et apprentissages…

Pour assurer un retour à « la normale », si tant est qu’elle existe, il s’agit de doter les enseignants de démarches, de temps, et de professionnels qui les accompagneront dans une relecture fertile de cette période complexe et parfois périlleuse.

Ils pourront alors se redire tranquillement, sans honte ni culpabilité, les émotions ressenties, se reconnecter à leurs ressources – celles qui leur ont permis de faire face dans ce moment de stress social, professionnel et personnel, et faire le point sur leurs propres apprentissages : de quelles compétences nouvelles sont-ils dotés ? que peuvent-ils en faire dans leur enseignement ? ...Tout en restant reliés à leurs valeurs et à celles de l’éducation.

Comme tout un chacun, les enseignants ont toujours eu à faire face à des événements exceptionnels, dont ils deviennent les médiateurs constructifs auprès des enfants : maladies, guerres, attentats et maintenant pandémie…

La plupart des professionnels de l’humain, assistants sociaux, personnels soignants, psychologues, accompagnateurs, facilitateurs, coachs, conseillers conjugaux peuvent, voire doivent bénéficier d’une supervision qui leur permet de mettre en perspective ce qu’ils vivent dans leur métier. Il serait juste que les enseignants accèdent aux mêmes possibilités.


C’est à ce prix qu’on leur permettra de continuer à faire leur métier avec l’engagement, l’énergie, la créativité et la générosité dont ils font le plus souvent la preuve, et dont nos enfants sont les premiers bénéficiaires.



________________________________


[1] Patrick Rayou & Luc Ria (selon une enquête -entretiens- conduite par Frédérique Mauguen et Luc Ria à l’IFÉ-ENS de Lyon. )

[2] https://www.leberry.fr/bourges-18000/actualites/pour-philippe-meirieu-specialiste-des-sciences-de-l-education-lecole-a-distance-doit-rester-collective_13777987/

[3] https://www.cerveauetpsycho.fr/sd/neurobiologie/la-mecanique-du-traumatisme-psychique-6806.php

[4] http://www.leparisien.fr/seine-saint-denis-93/ile-de-france-des-enseignantes-victimes-d-insultes-sexistes-et-sexuelles-en-ligne-28-04-2020-8307327.php

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